Du 10 mai au 23 novembre 2025, la biennale d’architecture Time Space Existence s’installe à Venise pour son édition la plus critique et prospective à ce jour. L’événement prend racine dans les lieux emblématiques du European Cultural Centre (Palazzo Bembo, Palazzo Mora et Giardini della Marinaressa). Plus de 220 architectes, artistes, urbanistes et universités de 50 pays y exposent des œuvres qui interrogent l’architecture non plus comme objet mais comme processus, mémoire et projection.
Un territoire vivant pour une biennale radicale
Le thème Time Space Existence devient cette année un levier de transition. À travers des installations immersives, des maquettes géantes, des matériaux recyclés ou vivants, la biennale devient un manifeste : l’architecture ne peut plus ignorer l’urgence climatique, l’héritage colonial, la raréfaction des ressources ni les nouvelles formes d’habiter.
Des matériaux qui parlent
Ces matériaux portent en eux le temps (leur genèse, leur dégradation, leur mémoire) et l’espace (leur ancrage local, leur disponibilité, leur transport). Ils permettent d’envisager une architecture moins extractive et plus régénérative. Certains prototypes développés à la biennale entrent déjà dans des projets pilotes en Asie et en Afrique de l’Ouest.
Habiter l’incertain
La question de l’habitat prend une place centrale. Les crises migratoires, les montées des eaux, l’exode urbain ou les conflits provoquent une reconfiguration radicale des formes de vie. La biennale présente des habitats mobiles, flottants, démontables. Le studio japonais Shigeru Ban Architects propose une maison pliable en carton alvéolaire, capable de résister aux séismes et inondations. Elle se monte en deux heures, coûte moins de 500 dollars et a été testée en Turquie et au Bangladesh.
L’université de Pretoria explore quant à elle les structures hybrides en tôle et fibre végétale dans les townships sud-africains. L’objectif : créer des habitats décarbonés, auto-construits, mais résilients, sans renoncer à l’esthétique ni au confort thermique.
Territoires et décolonisation
L’un des tournants majeurs de cette édition 2025 est la décolonisation des imaginaires architecturaux. Plusieurs pavillons collectifs (notamment ceux coordonnés par des équipes du Sénégal, de l’Inde ou de la Nouvelle-Zélande) interrogent la manière dont les modèles occidentaux ont été imposés, parfois violemment, à des cultures et climats incompatibles. L’idée de territoire devient un sujet politique, autant qu’écologique.
Le collectif Decolonize Architecture Art Residency présente une cartographie critique de l’urbanisme israélo-palestinien. Par ailleurs, des chercheurs brésiliens reconstruisent en réalité augmentée les plans urbains indigènes détruits depuis l’ère coloniale.
L’architecture comme récit
L’édition 2025 de Time Space Existence assume pleinement une dimension narrative. L’architecture est ici abordée comme récit fragmentaire, langage habité. On y trouve des journaux de bord d’architectes nomades, des récits de chantiers communautaires, des archives sonores ou photographiques de territoires en disparition (delta du Mékong, villes minières de Sibérie, oasis du Maghreb).
Le Royal College of Art expose une série de vidéos immersives où des habitantes commentent leur maison, leur rue, leur quartier. L’architecture devient orale, féminine, située. Elle se transmet par les gestes, les usages, les attachements.
Vers une normalisation de l’architecture régénérative
Ce qui frappe cette année, c’est la technicité atteinte par certaines installations expérimentales. Des modules autonomes à énergie positive, des systèmes de ventilation biomimétiques, des murs qui stockent l’humidité et la restituent, des façades qui changent de couleur selon la température.
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Certains prototypes testés à Venise seront intégrés à des programmes de logement social en France, en Slovénie ou au Kenya dès 2026. La biennale joue ici un rôle de laboratoire grandeur nature. Elle ne se contente pas d’évoquer le futur : elle le simule, le teste, le met en débat.
Extrapolation de la biennale d’architecture vers 2030
Si les tendances exposées à Time Space Existence se poursuivent, l’architecture en 2030 pourrait devenir :
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- Post-anthropocentrée, intégrant les non-humains (plantes, micro-organismes, flux naturels) comme acteurs du projet
- Hyper-locale, reposant sur les ressources disponibles à moins de 50 km du site
- Réversible, permettant le démontage, la réparation ou le recyclage des éléments
- Narrative, pensée non comme volume mais comme expérience à travers le temps
Les écoles d’architecture commencent déjà à intégrer ces dimensions. De nouveaux cursus émergent autour des matériaux biosourcés, de l’écoconception ou du droit au logement. Le rôle de l’architecte se transforme : il devient médiateur, facilitateur, narrateur de transitions.
Les architectes français présents à la biennale d’architecture 2025
Parmi les architectes français présents à la biennale d’architecture 2025, Moreau Kusunoki. Il se distingue avec une installation immersive sur la mémoire des matériaux. Notamment en mêlant bois brûlé, sons d’archives et lumière naturelle. Le collectif Encore Heureux expose un prototype de pavillon démontable en terre crue et textiles recyclés, pensé pour des usages culturels mobiles en zones rurales. Côté européen, le duo belge BC architects explore la circularité totale avec un chantier in situ en terre excavée de la lagune vénitienne.
Venise, un symbole à part entière
Choisir Venise pour incarner ces métamorphoses n’est pas anodin. La ville elle-même, menacée par la montée des eaux, sur-tourismée, patrimonialisée jusqu’à l’étouffement, devient un terrain de confrontation entre passé et avenir. Des installations comme Floating Futures (un archipel de plateformes flottantes cultivables) ou Submerged Memories (un musée temporaire sous-marin) utilisent Venise comme matière.
La biennale y joue un rôle ambigu : critique mais intégrée, événementielle mais structurante. Elle reflète les paradoxes d’une discipline tiraillée entre art et urgence, entre mémoire et transformation.
La biennale d’architecture 2025 avec Time Space Existence ne propose pas de réponses définitives
Elle met en tension, provoque, incube. En outre, elle invite à faire de l’architecture une expérience située dans un temps long, un espace habité, une existence collective. Enfin, la Biennale n’est plus seulement un espace de formes mais un espace de conscience.