Depuis février 2022, le conflit armé entre la Russie et l’Ukraine a profondément bouleversé les équilibres régionaux, humains et économiques. Au cœur de ces mutations, le secteur de l’immobilier se retrouve durement touché. Entre destructions massives, dévaluation des actifs, exodes massifs et recomposition du marché, la guerre redessine totalement le paysage immobilier des deux pays. Analysons les conséquences concrètes du conflit sur l’immobilier ukrainien et russe : les pertes, les transformations en cours, et les perspectives à moyen et long terme.
L’immobilier ukrainien : un secteur sinistré mais résilient
Des villes détruites, un parc immobilier ravagé
L’une des conséquences les plus immédiates et visibles du conflit en Ukraine est la destruction de l’habitat. Selon les chiffres de la Banque mondiale, plus de 150 000 bâtiments résidentiels ont été endommagés ou détruits depuis le début de l’invasion. Des villes entières comme Marioupol, Severodonetsk ou Bakhmout ont vu leur parc immobilier réduit à l’état de ruine.
La capitale Kiev, ainsi que Kharkiv, Dnipro ou Odessa, ont également subi des dommages, bien que moindres. L’immobilier commercial et industriel n’a pas été épargné : usines, entrepôts, centres logistiques et même centres commerciaux ont été ciblés.
La conséquence directe est un effondrement de la valeur immobilière dans les zones de guerre ou proches du front. Dans certaines régions de l’Est, le marché immobilier est totalement gelé, voire inexistant. La propriété y a perdu toute valeur marchande.
Déplacement de la demande vers l’ouest du pays
Face à l’insécurité, une migration interne massive s’est opérée. Des millions d’Ukrainiens ont fui vers les régions plus sûres de l’ouest du pays, notamment autour de Lviv, Ivano-Frankivsk ou Ternopil. Cette pression démographique soudaine a provoqué une augmentation des loyers et des prix dans ces zones refuges.
Les promoteurs et investisseurs immobiliers, bien que prudents, se sont aussi réorientés vers ces régions. La construction neuve a repris dans certaines villes de l’ouest dès la fin 2022, avec des projets à vocation résidentielle ou humanitaire.
Un défi colossal de reconstruction
La reconstruction du pays représente à la fois un défi technique et financier, mais aussi une opportunité économique majeure à long terme. Les besoins sont immenses : habitat, infrastructures, bâtiments publics, zones industrielles…
L’Ukraine bénéficie de l’appui de bailleurs internationaux (Banque mondiale, FMI, Union européenne) qui ont déjà promis des centaines de milliards d’euros pour la reconstruction. Pour les entreprises du BTP et les investisseurs immobiliers, cela pourrait devenir l’un des chantiers les plus importants du XXIe siècle.
Cependant, la reconstruction ne pourra être pleinement effective qu’en temps de paix durable. En attendant, le marché immobilier ukrainien reste extrêmement polarisé : effondré à l’Est, tendu à l’Ouest, suspendu à l’avenir dans les grandes villes.
En Russie : un marché en tension entre isolement et repositionnement
Un marché résidentiel sous pression
En Russie, les bombes ne tombent pas, mais les conséquences économiques de la guerre se font sentir sur l’immobilier résidentiel. Avec les sanctions internationales, la fermeture de nombreux marchés occidentaux, la chute du rouble (notamment en 2022) et l’isolement bancaire, le pouvoir d’achat immobilier des ménages russes a reculé.
Paradoxalement, en 2022, certaines villes comme Moscou et Saint-Pétersbourg ont vu une hausse des prix immobiliers. Cette situation s’explique par une ruée des Russes vers la pierre, perçue comme une valeur refuge face à l’inflation galopante et à l’instabilité économique.
Cependant, cette dynamique s’est rapidement essoufflée courant 2023 : la baisse des revenus réels, la hausse des taux d’intérêt et la prudence des banques ont ralenti les transactions. Le secteur du crédit immobilier est en berne. Les classes moyennes peinent à accéder à la propriété, et les jeunes générations se détournent de l’achat, faute de perspectives économiques claires.
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Fuite des investisseurs étrangers et gel des projets
La guerre a provoqué le retrait massif des investisseurs étrangers du marché immobilier russe, notamment dans le secteur commercial et tertiaire. Les grandes foncières et chaînes internationales (notamment dans le retail, l’hôtellerie ou les bureaux) ont quitté le pays, vendant ou abandonnant leurs actifs.
Les centres d’affaires à Moscou, autrefois prisés, se retrouvent partiellement inoccupés. Plusieurs projets de bureaux ou de centres commerciaux ont été gelés ou revus à la baisse. La demande est en recul, notamment chez les entreprises technologiques ou les services financiers, durement touchés par les sanctions.
Immobilier rural et terres agricoles : une guerre stratégique
En Ukraine : des terres devenues champs de bataille
L’Ukraine est souvent appelée le grenier à blé de l’Europe. Ses vastes terres agricoles, parmi les plus fertiles du monde, sont aujourd’hui au cœur d’un enjeu géopolitique majeur. De nombreuses terres sont minées, polluées, ou occupées par l’armée russe, rendant leur exploitation impossible.
Certaines exploitations ont été détruites, d’autres réquisitionnées. Le marché foncier rural est donc quasiment à l’arrêt. De plus, le débat sur la privatisation des terres agricoles, longtemps gelé, reste un sujet sensible, surtout dans ce contexte de guerre.
En Russie : un retour forcé à l’agriculture nationale
La Russie, de son côté, a tenté de tirer parti des sanctions pour renationaliser sa production agricole. Les sanctions occidentales ont entraîné un recentrage sur le marché intérieur. Le gouvernement russe a ainsi soutenu massivement l’achat et le développement de terres agricoles, avec des aides aux entreprises agro-industrielles russes.
Le foncier rural russe attire donc aujourd’hui une nouvelle génération d’investisseurs… essentiellement locaux. Mais le manque d’investissements étrangers, de technologies modernes et de débouchés à l’export pèse sur la rentabilité du secteur.
Quelles perspectives pour l’avenir ?
En Ukraine : vers un « Plan Marshall » immobilier ?
Lorsque la guerre cessera, la reconstruction de l’Ukraine deviendra un chantier titanesque. Des projets existent déjà pour bâtir des logements durables, écologiques et résilients, avec le soutien d’architectes européens et d’investisseurs internationaux. De nombreux pays se disent prêts à financer la reconstruction de villes entières.
Le gouvernement ukrainien travaille aussi à la numérisation des cadastres, à la régularisation foncière et à la modernisation du droit de propriété. Le pays pourrait, à terme, devenir un terrain fertile pour une modernisation urbaine accélérée, à condition que les conditions politiques et sécuritaires le permettent.
En Russie : un marché figé à moyen terme
En Russie, le marché immobilier pourrait rester en stagnation prolongée. L’absence d’investissements étrangers, la baisse du pouvoir d’achat, et l’isolement économique risquent de freiner l’innovation et la modernisation du parc immobilier.
Cependant, l’État russe cherche à relancer l’économie en soutenant le secteur de la construction via des aides publiques, notamment pour la construction de logements abordables. Le développement régional, en dehors des grandes métropoles, est aussi encouragé.
Deux marchés, deux réalités
La guerre en Ukraine n’a pas seulement bouleversé les frontières et les équilibres politiques : elle a redessiné de fond en comble les dynamiques immobilières dans les deux pays. Tandis que l’Ukraine voit son immobilier partiellement détruit mais porteur d’espoir pour une reconstruction d’envergure, la Russie s’enferme dans une logique de repli et d’autosuffisance, avec un marché figé.
Dans les deux cas, l’immobilier, miroir des sociétés, illustre la profondeur des fractures provoquées par le conflit. Mais il montre aussi, parfois, la capacité de résilience et de transformation qu’une nation peut mobiliser dans l’adversité.